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L'esclave islandaise. Tome 1&2 aux Éditions Gaïa

Mercredi 17 Avril 2019

Émission Lire sous les pommiers, avec Culture Normande
Textes de la rédaction de Culture Normande, lus par Emmanuel Mauger



J’ai rarement attendu avec autant d’impatience la parution d’un second tome d’une œuvre qui constitue en une première approche une surprise admirative et une captivante plongée dans un univers insolite.
Il ne s’agit pas d’un roman. Il ne s’agit pas non plus d’une œuvre strictement historique. Si le mot DOCUFICTION est quelquefois galvaudé pour des films de télévision, il pourrait être adapté à l’œuvre de Madame Steinunm Johannesdottir. Il s’agit, en fait, d’une sorte de reportage sur un événement historique attesté par des documents irréfutables, mais, en plus, l’auteur a voulu suivre le périple de son héroïne in situ pour pouvoir décrire des environnements totalement étrangers aux yeux des compagnons islandais de la pauvre et infortunée paysanne kidnappée lors d’un raid de pirates barbaresques sur les côtes de l’Islande.
C’est d’ailleurs, là, la première révélation : au XVIIe siècle, les mers européennes de l’Océan Atlantique étaient peu sûres. Il y avait, certes, les rivalités entre les différentes puissances maritimes, avec de nombreux arraisonnements de navires. Il y avait, dans les Caraïbes notamment, la flibuste. Il y avait aussi – et cela, on le dit moins, les fréquentes razzias des équipages corsaires des ports d’Afrique du Nord (corsaires de Salé, Alger, Bougie, Tunis…), plus ou moins dépendants de la Sublime Porte et grands pourvoyeurs d’esclaves pour les riches marchands des villes du Maghreb. On a du mal à imaginer aujourd’hui – parce qu’on n’en parle pas beaucoup, on se demande pourquoi – ce qu’a été la crainte des populations côtières des pays méditerranéens chrétiens victimes des pillages et exactions en tous genres des Barbaresques (nombre de villages provençaux en ont gardé le souvenir) et, surtout, l’effrayante perspective d’être emmenée en esclavage, qui, dans un harem, qui, dans les mines, avec des menaces constantes de la part de musulmans zélés, voire fanatiques, voulant convertir les roumis (chrétiens) à l’Islam. Pendant tout le XVIIe siècle et une bonne partie du XVIIIe, ce fut un souci constant des différentes chancelleries européennes pour récupérer contre espèces sonnantes et trébuchantes ces pauvres esclaves chrétiens des geôles barbaresques. Des ordres religieux se spécialisèrent même dans le rachat des captifs. L’Ordre de Malte joua un grand rôle, mais pas seulement. Une des gloires de notre grand capitaine, d’origine normande, Abraham Duquesne, est d’avoir bombardé Alger en représailles à une recrudescence des razzias barbaresques sur nos côtes.
Ce que l’on sait moins, c’est l’intrépidité des navigateurs maghrébins (certains conquirent une véritable notoriété) et l’on a du mal à imaginer ces expéditions sur les côtes septentrionales de l’Europe avec des navires de dimensions modestes : il y eut des descentes sur les côtes de Cornouailles, d’Irlande, d’Écosse, moins en Bretagne, mieux protégées depuis Richelieu et Colbert. Remonter jusqu’en Islande représentait donc un exploit de navigation. Inutile de dire que cela engendrait la panique dans les populations littorales…
En 1627, aux îles Vestamenn, au Sud de l’Islande, les pirates font irruption et kidnappent 400 Islandais. C’est le fameux (pour les Islandais) Raid des Turcs. Le livre raconte donc les pérégrinations de ces pauvres gens qui, pendant des années, vont vivre une expérience douloureuse autour d’Alger. Ils sont soutenus par leur foi (ce sont des luthériens) et par l’espoir d’être, un jour, rachetés par le Roi du Danemark – l’Islande faisant alors partie de ce royaume scandinave –. Si certains, par commodité, acceptent de se convertir à l’Islam, la plupart reste dans leur condition d’esclave et de « koufars » (mécréants), chrétiens en l’occurrence… et ce n’est pas de tout repos ou de confort, on s’en doute.
La destinée de l’héroïne, Gudrudur, une jeune fermière islandaise, femme d’un pécheur dont elle ignore s’il a réchappé au raid, mère d’un jeune enfant qu’elle s’efforce de protéger, est celle d’une esclave, astreinte aux travaux les plus rudes, chez des maîtres… qui ne la traitent pas trop mal (en tant qu’ « outil », il faut la préserver !). Elle découvre un monde inimaginable pour elle, venant des brumes islandaises. Indiscutablement, elle est fascinée par un environnement totalement insolite pour elle : le climat, les mœurs, la nourriture, la nature. Tout est nouveau pour elle. Angoissant certes, mais avec l’espoir de retrouver un jour sa liberté et conservant le secours d’une foi entretenue d’ailleurs par la présence parmi ses compagnons d’infortune d’un pasteur et l’amitié platonique d’un des Islandais enlevé en même temps qu’elle.
Il arrive aujourd’hui qu’on parle de « chocs de civilisations » : le récit de Steinunn Johannesdottir en est un parfait exemple.
Et cela ne s’arrête pas au contact d’avec le contexte barbaresque. En effet – c’est l’essentiel du deuxième livre –, durant le voyage de retour (car Gudrudur et ses compagnons vont être rachetés… après de nombreuses années), le convoi des Islandais traverse la France et l’étonnement de notre héroïne n’est pas moins grand.
Finalement, cette aventure est une sorte d’Odyssée du pauvre, avec des personnages humbles, totalement hors du temps comme on peut s’y attendre de personnes vivant dans l’un des coins les plus reculés de l’Europe d’alors…
Dans le second livre, l’auteur raconte son propre itinéraire dans un appendice tout à fait passionnant. Elle a suivi des études très poussées en France, notamment à Toulouse, et, comme je l’ai dit plus haut, elle est allée sur place, à Alger, essayant de comprendre le contexte et l’environnement du XVIIe siècle barbaresque. Son travail de recherche est tout à fait remarquable : à mon avis, ce livre, L’esclave islandaise, est un grand livre qui mérite les plus grands éloges.
Décidément, depuis Snorri Sturlusson, depuis Halldor Laxness, ce petit peuple d’origine viking nous réserve des trésors littéraires des plus remarquables. C’est plus qu’un exemple, un objet d’admiration.

Didier Patte

Éditions Gaïa : 82, rue de la Paix – 40 380 Chalosse

Culture Normande est une publication trimestrielle de l’Office de Documentation et d’Information de Normandie
87 rue de la République. F 76 940 La Mailleraye sur Seine - Tel. 0 984 482 207

Directrice de Publication : Michèle Le Flem
Rédacteur en Chef : Guillaume Lenoir
Secrétariat de Rédaction : Emma Davesne
Publicité et service de Presse : Edwige Leforestier & Geneviève Flament

ISSN 1281-1165
Dépôt légal à la parution
Ce numéro a été imprimé à 2 000 exemplaires

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Abonnement 4 n° : 30 €
Hors métropole : 45 €
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La Rédaction