TVNC : Normandie, d'actions et d'infos









Inscription à la newsletter




Partager ce site

Les Curiaces ou la Hanse

Vendredi 19 Janvier 2018

​​Communiqué n°261 - Semaine 3



Partons d’un constat – même s’il ne nous réjouit pas – la population normande s’est majoritairement urbanisée. Les trois-quarts des habitants de la Normandie vivent désormais dans les aires urbaines, c’est-à-dire dans des pôles urbains qui offrent plus de 10 000 emplois et dont 40 % des actifs travaillent dans chacun de ces espaces ou à proximité. C’est un fait. Qu’il n’ait pas été maîtrisé, ce n’est pas un scoop. Que les périphéries des agglomérations s’étalent toujours plus, au détriment des terres agricoles d’ailleurs, n’est pas spécifique à la situation normande. Qu’il y ait des problèmes entre les villes-centre et leurs banlieues, c’était à prévoir. Que les Élus et tous les édiles n’aient rien vu venir en dit long sur leur faculté d’anticipation ne nous étonnera pas : l’esprit à courte vue est leur marque et leur éventuelle réélection leur seul véritable horizon

    Bref, pour l’instant, la Normandie est constituée d’un agrégat d’entités urbaines désunies, souvent inconstituées ou mal constituées, et qui dominent des terroirs ruraux en plein abandon de services. On ne s’étonnera donc pas non plus que le Mouvement Normand fonde ses espoirs sur la Région, nouvelle collectivité territoriale, dotée de pouvoirs réels (bien qu’encore insuffisants) qui, seule, et ce depuis qu’elle s’est réunifiée, peut LIER ces ensembles disparates et leur donner un dynamisme conquérant, au bénéfice de tous, avec des objectifs communs, notamment fondés sur un esprit d’équipe (du scandinave « skipa », ce n’est pas un hasard). Là est l’avenir, là est le chemin.

    Hélas, on en est loin.

 

LES QUERELLES PICHROCOLINES CONTINUENT…

 

    Hier, il n’y a pas si longtemps, nos trois villes (nous ne disons pas « grandes » villes), ou bien s’ignoraient ou encore se combattaient farouchement. Souvent à l’intérieur d’un même département : Rouen et Le Havre, ou au sein de régions-croupions antagonistes : Rouen et Caen… Et les trois méprisaient quelque peu, qui la rive gauche de l’estuaire, qui les petites villes d’Évreux ou de Dieppe, qui Alençon, Lisieux ou Saint-Lô. C’était la lutte de tous contre tous et la jalousie généralisée.

    Qu’on se souvienne des cris d’orfraies des Caennais craignant de perdre leur C.H.U. au profit de celui de Rouen. Il n’en avait jamais été question, mais c’était le procédé facile de certains édiles masquant ainsi leur incurie de n’avoir point su anticiper l’obsolescence d’un équipement dépassé. Les Rouennais, quant à eux, affectaient d’ignorer Le Havre, ne voyant pas que leurs ports occupaient des créneaux différents, pouvant à terme coopérer dans le trafic fluvial. Il est vrai que les Rouennais, depuis la dernière guerre, s’étaient détournés de la Seine… pour la redécouvrir aux moments des Armadas. On peut multiplier les exemples de cette méfiance généralisée et de l’individualisme forcené de chacune de ces villes. Et cela retombait sur l’ensemble de la société : les Universités se tournaient le dos, les Musées se boudaient, les établissements culturels se concurrençaient, les Chambres de Commerce et d’Industrie se regardaient en chiens de faïence – il y en avait quatorze ! – et les fédérations sportives se divisaient, cultivant leur petitesse et leur médiocrité.

 

    Aujourd’hui, la Normandie s’est réunifiée et certains – pas tous ! - antagonismes se sont estompés. Pas toujours de gaîté de cœur. Le cas des fédérations sportives est exemplaire. De nombreux organismes et associations ont fusionné : la liste en est longue. À noter que l’impulsion donnée par le Conseil régional a été déterminante. Mais pas seulement. Les fusions de communes, celles des communautés de communes et la création des agglos, même si elles suscitent quelquefois des réticences légitimes parce que conduites trop hâtivement, montrent que l’époque pousse aux coopérations opérationnelles, dont on verra les résultats positifs dans les décennies à venir. La Normandie, à ce sujet, est exemplaire, notamment le département de la Manche. Si Rouen s’est vu octroyer le rang de métropole, Caen et Le Havre ont voulu leur pôle métropolitain : Pôle de l’Estuaire, Pôle Caen – Normandie… Un mouvement s’est ainsi établi qui pourrait être irréversible… à condition que les esprits rétrogrades ne prissent pas tous les prétextes pour alimenter les méfiances, les jalousies, les mesquineries, en un mot, le localisme.

 

    La récente affaire du CROUS est significative à cet égard, à plus d’un titre. Mettons à part l’énorme bévue du pouvoir central qui, dans un premier temps, attribue à Caen le siège de cet organisme et qui, dans un second temps – suite à quelles pressions ? - le place à Rouen. Rien de tel pour mieux infecter des plaies à peine refermées, à moins que les services centraux n’aient voulu montrer par là qu’ils restaient le « deus ex machina » de l’aménagement administratif du territoire.

    Venons – en au fond de l’affaire et, d’abord, étonnons-nous de l’empressement d’une certaine presse prompte à raviver les querelles intestines. « CROUS à Rouen : justifier l’injustifiable » (Ouest-France, 15 décembre), « Le CROUS ravive les querelles entre Rouen et Caen » (O.F., 16 décembre), « CROUS : Rouen et Caen irréconciliables » (O.F., 21 décembre). On n’est pas loin de la notion d’ennemis héréditaires !

    La réalité est à replacer dans le contexte de la répartition des fonctions entre les deux villes à la suite de la réunification normande. Ce qui était longtemps apparu comme impossible avant, à savoir la notion de multipolarité, s’est réalisée d’une façon plutôt équilibrée : le chef-lieu de la Région, avec le Préfet régional, à Rouen, le siège du Conseil régional, à Caen, avec une répartition des directions administratives ou des départements de l’administration régionale entre les deux villes (Nous eussions aimé au Mouvement Normand que Le Havre ait eu sa part dans cette répartition…). Nous sommes en 2018, soit deux ans après la réunification, et, malgré les criailleries et récriminations de quelques éléments corporatistes, il apparaît qu’il n’y a pas eu de bouleversements impossibles à gérer et à accepter, qu’une bonne volonté, aussi bien de l’État – par le Préfet – que par les Élus du Conseil régional, ait permis une transition en douceur sans qu’aucune des villes n’ait eu à pâtir de la situation nouvelle. Caen n’a pas eu à se plaindre – c’est sans doute la cité qui était le plus dans la crainte d’une réunification se produisant à ses dépens -, obtenant le Conseil régional (normal, c’est plus central !) et le Rectorat (eu égard au passé), pour ne citer que ces deux symboles forts de l’unité retrouvée de la Normandie. Alors quid du CROUS ? C’est un organe technique de gestion des œuvres universitaires, notamment du logement étudiant. Il y a plus d’étudiants à Rouen et au Havre qu’à Caen et, par suite, le parc des chambres à attribuer est élevé dans la partie orientale de la Normandie. Cet argument a sa valeur, d’autant plus que le CROUS s’appuie beaucoup sur un organisme bailleur, Habitat 76, et qu’une telle coopération nécessite une proximité avérée. D’autre part – et c’est valable pour tous les organismes fusionnés – des antennes du CROUS restent opérationnelles au Havre et à Caen.

    Certes, le lobbying des Élus du Calvados (Mmes Dumont, Féret, de la Provoté, MM. Allizard, Bruneau…) est concevable, mais cela remet-il en cause vraiment la position de Caen dans la Normandie réunifiée ?

 

    Paris-Normandie (21 décembre), pour une fois bien inspiré, a dressé le bilan de la répartition des sièges. Elle est éloquente et nous nous faisons un devoir de reproduire ce document :

  • À Rouen, Préfecture régionale et Secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR), Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRRECTE), Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS), Direction régionale des finances publiques (DRFIP), Direction régionale de Pôle emploi, Service régional de police judiciaire (SRPJ), Région de gendarmerie de Normandie, Chambre régionale des Comptes. On voit bien que Rouen a hérité au premier chef des directions de la compétence économique et sociale (compte tenu du poids de Rouen et du Havre en la matière, cela se justifie) et de la sécurité (la présence des ports, du grand nombre d’établissements SEVESO et du poids démographique).
  • À Caen, Conseil régional, rectorat de la région académique – il subsiste néanmoins deux Académies -, Direction régionale des affaires culturelles (DRAC), Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DRAAF), Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), Agence régionale de santé (ARS). On perçoit le rôle dévolu à Caen : sa centralité lui permet d’avoir une gouvernance politique du fait que le Calvados, finalement, est limitrophe des quatre autres départements normands. Le rôle culturel et l’enseignement lui sont reconnus et, bien entendu, compte tenu des superficies et des spécialités agro-alimentaires, la direction de l’agriculture et de la forêt. Tout cela paraît assez logique
  • Le Havre obtient tout de même la Direction interrégionale de la mer (DIRM). Le Mouvement Normand souhaiterait que le siège d’HAROPA fût fixé au Havre…

    Encore une fois, il faut rappeler que tous ces organismes disposent d’antennes dans la ville n’ayant pas la Direction.

 

    Puisque l’on est vers la fin du processus de fusion, il faut aborder la question du regroupement prévu des Cours d’appel. Rouen et Caen sont-elles concernées ? Il paraîtrait que Rouen « tint la corde », eu égard au glorieux passé du Parlement de Normandie. Magistrats et avocats sont contre cette éventuelle fusion. Au nom de la proximité d’avec les justiciables… et de l’engorgement des tribunaux, source de retards dans le rendu de la justice. L’argument est fort et nous le faisons notre : l’esprit unitaire ne doit pas de » venir dogmatique et le principe de réalité conserve toute sa valeur. À propos, et, là, le Mouvement Normand s’adresse à la profession des avocats : pourquoi n’y a-t-il pas une école des avocats en Normandie, pays à la longue tradition juridique ? Pourquoi les futurs avocats du ressort de la Cour d’appel de Caen sont-ils obligés d’aller à Rennes ? Et ceux du ressort de la Cour d’appel de Rouen d’aller à Douai ? Il paraît que les barreaux de Caen et de Rouen, ne s’entendant pas, il n’y eut pas la création d’une école d’avocats en Normandie. Est-ce normal ? 

    La compétition mesquine et jalouse entre Rouen et Caen est dépassée. Les tenants de la division normande – il y en a encore – essaieront toujours de chercher des failles dans l’effort de construction équilibrée d’une Normandie ayant retrouvé un dynamisme conquérant. N’oublions jamais que ce qui importe, c’est le PROJET COLLECTIF des Normands et non les satisfactions individuelles de citadins à courte vue, fussent-ils habitants d’une des deux ou trois villes normandes d’importance.

 

ROUEN SE CHERCHE… ET NE SE TROUVE PAS

 

    Une récente pétition a été lancée par Nicolas Plantrou, président du Conseil d’orientation et de surveillance de la Caisse d’épargne de Normandie, ancien président du CESR de « haute » Normandie, particulièrement bien introduit à l’Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Rouen. Homme de poids donc, homme de concertation et de réflexion, dont les ambitions – c’est ce qui fait sa force – ne se retrouvent pas dans la brigue politique. Que dit cette pétition, à laquelle d’ailleurs le Mouvement Normand apporte son soutien ?

    Rouen et son agglomération, principale entité urbaine de Normandie – et de loin ! - ne joue pas son rôle de leader d’entraînement de l’ensemble de la Région normande. Pourquoi ? Parce que la ville-centre ne représente même pas le quart de la population de l’agglomération rouennaise, n’a, de ce fait, aucun projet cohérent et mobilisateur (est-ce dû à la médiocrité de ses édiles ?), refuse en fait un rôle de chef de file d’une Normandie qu’elle affecte d’ignorer dans sa diversité, hésite à se prostituer avec la mégalopole parisienne. Bref, Rouen, même devenue, par la grâce des Lois NOTRe et MAPAM, la Métropole Rouen – Normandie (13e et dernière métropole reconnue par l’État), n’a pas toutes les prérogatives et services d’une vraie métropole. En soi, ces manques ne sont pas dirimants : après tout, il faut savoir lutter pour acquérir des fonctions que l’on n’a pas ou que l’on n’a plus. Mais le plus grave, c’est que cette métropole de raccroc n’a pas l’ESPRIT, la VOLONTÉ d’une entité aux ambitions à la hauteur de son poids démographique (entre 500 000 et 600 000 habitants). Les hésitations de ses dirigeants entre la flagornerie à l’égard du monstre parisien et un destin normand que l’on affecte d’ignorer font de l’agglomération de Rouen une masse politiquement amorphe, animée si l’on peut dire par des querelles d’egos au sein de son personnel dirigeant.

    Car le comble – et croyez bien que cela irrite tous les Normands conscients d’un tel gâchis -, c’est que le Maire de Rouen, M. Robert, PS, ne s’entend pas avec M. Sanchez, Président PS de la métropole. On atteint, là, les sommets du ridicule. Oh ! Certes ! Dans leurs vœux de nouvel an, nos deux compères clament sur tous les tons : « Circulez, il n’y a rien à voir ! », le fait est, là, patent, que des bisbilles au sommet sont un véritable scandale.

    Car Rouen et son agglo sont des locomotives au plan économique et culturel – Rouen aspire à devenir capitale européenne de la culture, cela, c’est bien ! - et ces locomotives sont INDISPENSABLES pour la bonne santé de la Normandie. Le Mouvement Normand n’entend en rien dénigrer le potentiel de la métropole rouennaise. Bien au contraire. Mais il demande que Rouen, ses édiles, ses cadres, ses institutions, ses entreprises, son port jouent à fond la carte normande, en liaison, évidemment avec les pôles métropolitains du Havre et de Caen.

    A ce propos, nous pensons, comme les Quinze Géographes, que la vraie métropole normande serait une alliance des trois agglomérations auxquelles s’ajouteraient naturellement les communautés de communes interstitielles de la Côte fleurie et de Lisieux – Normandie…

 

    Le drame de Rouen et de sa métropole réside aussi dans la pulvérulence de ses structures communales : 75 communes, un Conseil de la métropole pléthorique, donc inopérant. Oui, comme le disait déjà Nicolas Plantrou, en 2015, il faut des fusions de communes au sein de l’agglomération, faire grossir Rouen avec certaines communes adjacentes et totalement imbriquées (Mont-Saint-Aignan, Boisguillaume, Bihorel, Sotteville, les Quevilly, voire Saint-Etienne du Rouvray), tandis que les autres communes de l’agglo se regroupant en communautés de communes selon les secteurs géographiques (vallées, plateaux) formeraient avec le noyau central un ensemble cohérent et opérationnel.

    Sans cette évolution / révolution, le destin de la métropole de Rouen – Normandie restera encroûté dans une médiocrité déroutante ou un abandon aux sirènes d’une mégalopole parisienne n’attendant que cela pour « atteindre la mer » et devenir « ville-monde ». L’intérêt de la Normandie commande que Rouen prenne sa place, toute sa place en son sein et qu’elle prenne la tête de la HANSE NORMANDE de toutes les villes, grandes, moyennes, petites de Normandie. Cette solution que le Mouvement Normand a préconisée il y a deux décennies est un objectif que nous fixons à tous nos compatriotes de bonne volonté. Il y va de notre intérêt de citoyens et d’acteurs de la pérennité normande. Le reste, l’écume des jours, doit rester secondaire.

    Ces villes normandes qui ne savent pas chasser en meute nous font penser aux Curiaces qui furent vaincus par Horace, c’est-à-dire, en l’occurrence, le Moloch parisien.


Didier PATTE, porte-parole et ancien Président du Mouvement Normand

Pour toute correspondance : 
• Didier Patte. 87, rue de la République. 76940 – La Mailleraye sur Seine (Commune nouvelle d’Arelaune en Seine)
• d.patte948@laposte.net

La Rédaction