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Le destin de la Normandie en balance

Mercredi 29 Novembre 2017

​​Communiqué n°260 - Semaine 48



Il est des moments où l’avenir d’un peuple ou le destin d’une collectivité devient d’une actualité cruciale, tant les conséquences peuvent en être décisives pour des décennies. Le plus étrange, c’est que, souvent, l’opinion publique concernée n’en a pas toujours conscience. Voilà un sujet de réflexion qui peut surprendre : la cause en est multiple. Dans le cas de la Normandie, la Région – la vraie, celle qui a été réunifiée le 1er janvier 2016 – n’est pas encore totalement intégrée dans l’horizon des Normands, abusés par plus de deux siècles de démembrement de l’ancienne province en départements et par six décennies d’une calamiteuse division. D’autre part, les questions de fond font rarement recette dans l’esprit des gens, trop habitués aux querelles locales, partisanes, subalternes. De là à dire que les questions de fond – celles qui mettent en cause l’existence même d’une collectivité – sont trop sérieuses pour intéresser la masse des citoyens et constituent une réaction dédaigneuse de la part de « ceux qui savent », « de ceux qui sont au parfum », est une affirmation que le Mouvement Normand ne reprendra pas à son compte, trop attaché qu’il est au sentiment de confiance qu’il a toujours eu dans le génie normand. L’explication est plus prosaïque : les médias, tous les médias, les Élus, tous les Élus ne cherchent pas à instruire vraiment les citoyens des enjeux des aléas de la politique de tous les jours. Il faut du temps et beaucoup de pédagogie pour faire comprendre les tenants et les aboutissants des démarches des différents protagonistes. Hélas, les uns et les autres s’arrêtent aux petites phrases, aux polémiques éventuelles, bref, à la superficialité des problèmes.
C’est la raison pour laquelle le Mouvement Normand qui, faut-il le rappeler ?, n’est pas un parti et qui n’aspire pas à prendre un quelconque pouvoir, seulement à redonner aux Normands la volonté de maîtriser leur destin et à sauvegarder leur identité, a le désir d’informer nos concitoyens des grands enjeux du moment. Par le truchement notamment des analyses que nous développons dans nos communiqués. Lesquels sont diffusés sur la toile à toujours plus de correspondants, tout particulièrement en direction des Élus et des décideurs. Ces analyses inspirent des réflexions et des réactions aux uns comme aux autres (c’est le but recherché) et… nous en faisons aussi notre profit. C’est ainsi que nous concevons le dialogue démocratique.

D’autre part – et ce sera le cas en l’occurrence, nous le verrons plus loin – les problèmes que nous évoquons montrent quelquefois des oppositions radicales, voire inconciliables en apparence, mais nous sommes en Normandie, c’est-à-dire dans un pays de mesure où l’on peut, comme disait Tocqueville, être « violemment modéré », affirmer ses convictions sans contester « l’autre ». Entre l’État central et la Région, il peut y avoir des oppositions de conceptions de gouvernance et cela ne doit jamais dégénérer en une remise en cause du cadre dans lequel l’une se trouve intégrée tandis que l’autre ne doit jamais oublier sa mission tutélaire de protection. Autrement dit si, en tant que régionalistes, nous nous rattachons à la tradition girondine, nous nous faisons un devoir de respecter le cadre national, contestant seulement que la faction jacobine se soit accaparée la toute-puissance totalitaire d’un centralisme exacerbé. Des régions périphériques pensent autrement : ce n’est pas notre combat, « la Normandie est terre de France et entend le demeurer », disait l’un de nos anciens, Philippe Woodland, et nous n’entendons pas déroger à cette situation.
Enfin, et, là, nous citerons André Siegfried, « En Normandie, on considère que la vérité n’est jamais entièrement du même côté », illustration du trop fameux et mal compris « p’tet ben qu’oui, p’tet ben que non ». Dans l’exposé qui va suivre, les arguments des uns et des autres sont TOUS à considérer. On peut, on doit en préférer certains, on ne doit pas négliger les autres. Ne sommes-nous pas entre gens de bonne compagnie, à défaut de personnes de bonne volonté ?

L’ENJEU
    
La mer. Parce que la Normandie est d’abord une région maritime.
Avec toutes ses déclinaisons : le littoral et toutes les ressources offertes par l’Océan, l’Axe Seine, la Baie de Seine, les ports, leur hinterland, le commerce maritime et ses conséquences, tant en matière d’échanges, non seulement matériels, mais comme ouverture au monde, la mentalité maritime et commerciale…
Avec ses exigences. En matière de gouvernance. En matière de compétitivité. En matière stratégique.
Tout cela a été développé à l’envi dans de précédents communiqués : nous n’y reviendrons pas, soulignant seulement le caractère ESSENTIEL de cet enjeu pour la Normandie, d’abord, pour le reste de l’Hexagone ensuite, tout particulièrement de Paris, la Capitale, qui ne peut prétendre au rôle de ville-monde que si elle a un accès facile (disons même normal) à la mer.
Cela, c’est la théorie, le capital de situation en quelque sorte. La réalité est tout autre.

Laissons parler une personne autorisée : M. le Premier Ministre en personne :
« Le modèle économique des ports doit être revu, pour faire face à la concurrence internationale tout en respectant les règles européennes qui imposent notamment d’assujettir les ports à la fiscalité de droit commun. Nous voulons aussi attirer les investissements, en refondant les règles de domanialité publique, en simplifiant les procédures administratives, en accroissant la fluidité des passages portuaires qui doivent passer à l’ère numérique, avec la digitalisation et l’intégration des systèmes logistiques et d’information, (il faut) le transport combiné et la multimodalité – un sujet stratégique bien connu au Havre » (in Paris-Normandie – 21 novembre 2017).
Ce qui signifie en clair… que ce n’est pas le cas actuellement et qu’Anvers est devenu en un quart de siècle le premier port français alors que les ports de la Basse Seine végétaient dans une croissance médiocre.
Ce que confirme de son côté Hervé Morin, le président de la Normandie :
« En 1990, le trafic conteneurs du port d’Anvers était exactement le double de celui du Havre. Aujourd’hui, il pèse quatre fois plus alors que l’activité du port du Havre a été dans le même temps multipliée par trois. Anvers est le 14e port mondial et Le Havre est seulement le 62e » (in Le Courrier Cauchois, 17 novembre 2017).
Le diagnostic est sévère : trop d’État, trop de techniciens, pas assez d’acteurs économiques issus du territoire.
Avec honnêteté, Édouard Philippe enfonce le clou :
« Je ne choquerai personne si je dis que la France n’a pas un trafic portuaire à la hauteur de sa façade maritime, de son marché intérieur et de sa place en Europe. Et je n’étonnerai personne si je dis que si on ne fait rien, cela ne va pas s’arranger. Je ne m’habitue pas à l’idée qu’Anvers soit le premier port de France. Quand on aime son pays, quand on aime ses ports, quand on aime ses dockers, on se dit que le temps du sursaut est peut-être venu » (in Paris-Normandie, 22 novembre 2017).
Ce que le Premier Ministre ne dit pas (mais il doit le penser), c’est que l’État français n’a jamais eu une politique maritime à la hauteur, notamment du fait qu’ouverte sur quatre mers, la France devrait être la plaque tournante de la puissance maritime et commerciale de l’Europe, et cela ne date pas d’hier.

LE DÉBAT

C’est Hervé Morin qui l’a lancé… après maints observateurs qui, depuis des années, énoncent des idées simples, mais justes, comme celles de M. Michel Segain, président de l’Union maritime et portuaire du Havre, qui se résument dans la formule : « Moins d’État, plus de Région, plus de privé ».
Que dit Hervé Morin ?
« Ce n’est pas à Paris que l’on sait ce qui est bon pour la Normandie, ni de Bercy ou des ministères. L’intelligence du plus dévoué des hauts fonctionnaires parisiens ne remplacera jamais la passion et la volonté de n’importe lequel des chefs d’entreprise ou Élus normands » (in Paris-Normandie, 16 novembre 2017).
Et de développer une conception « hanséatique » des ports normands, à l’instar des ports du Northern Range, en opposition à la conception « administrée » des ports sous la tutelle de l’État, dont les résultats ne sont pas à la hauteur des ambitions « mondiales » que l’on pourrait caresser. « Le Havre n’est plus un port d’État, c’est un port d’Europe, un port du monde ».
Hervé Morin, dans une plaquette explicite, énumère un certain nombre de propositions :
  1. Faire le choix d’une gouvernance simplifiée, reposant sur l’animation des réseaux d’acteurs économiques et portuaires.
  2. Connecter les ports sur notre territoire à partir du principal, à la conquête d’un hinterland ne se limitant pas à la Région parisienne.
  3. Créer un Établissement Public regroupant les ports de la Basse Seine, dont la Région serait le premier acteur, aux côtés de l’État et des autres collectivités locales.
  4. Stimuler la nouvelle dynamique portuaire à partir de l’excellence des laboratoires de recherche de Normandie.
  5. Intégrer le développement des zones industrielles dans le développement des ports.
  6. Développer le partenariat avec Ports de Paris et la Région Île de France.
  7. Lancer de nouveaux services de fret ferroviaire, pas seulement vers Paris, mais aussi vers l’Est et le Sud.
  8. Favoriser les projets industriels innovants en travaillant avec l’Établissement Public Foncier de Normandie (EPFN), qui dispose de sites appropriés, tout en respectant l’environnement.
  9. Créer des zones économiques spéciales dans les grands centres portuaires.
  10. Développer une « passion portuaire » chez tous les acteurs économiques, allant au-delà de la recherche du profit.
L’ensemble de ces propositions (plus largement expliquées, on s’en doute) constitue, enfin, une « vision », un « objectif », mobilisant les énergies, les talents et l’innovation. C’est ambitieux.
Présenté devant le Conseil régional réuni en séance plénière le 16 octobre dernier, puis quelques jours avant les Assises de la Mer, au Havre, le programme portuaire d’Hervé Morin a essuyé quelques critiques. Céline Brulin, du Parti Communiste, bien que partageant le diagnostic navrant des ports normands, s’en tient au dirigisme d’État et à la mise en tutelle administrative des ports de la Basse Seine. Elle se prononce contre la « régionalisation » des ports, (ironisant au passage sur le fait que, d’après les régionalistes, la Région est une solution à tous les problèmes : nous nous sentons visés, d’autant plus que cette dame, pourtant plus perspicace d’habitude, caricature notre position). Elle craint en outre une « privatisation » des ports. C’est l’antienne habituelle du Parti Communiste. Quant au leader socialiste, Nicolas Mayer-Rossignol, égal à lui-même, c’est-à-dire à un grand rien sonore, il clame contre l’évidence que les gouvernements du précédent quinquennat ont fait ce qu’il fallait pour les ports normands. Les gens du Front National craignent pour leur part que la Région n’ait pas les moyens de sa politique, mais ils ne proposent rien. Tout cela est assez navrant car nous considérons au Mouvement Normand qu’il devrait y avoir une certaine unanimité pour l’ambition portuaire normande, telle que définie par Hervé Morin.

La position opposée, celle d’Édouard Philippe, telle qu’il l’a exposée aux Assises de la Mer ou dans ses différentes interviews, est cependant plus nuancée… en apparence et ne ferme pas le débat.
Indiscutablement ? Et c’est un point d’accord avec le Président de la Normandie, le Premier Ministre veut libérer le dynamisme des ports en assouplissant les règles de la fiscalité, de la domanialité publique, en simplifiant les procédures administratives, en accroissant les fluidités, notamment par le numérique, la digitalisation, en instaurant la multimodalité et le transport combiné. Il n’est pas hostile aux expérimentations.
On est tenté de demander avec quel argent ?, avec « quels investissements de la part de l’État » ?
C’est sur le positionnement de l’État dans la gouvernance des ports qu’Édouard Philippe développe une théorie singulière.
« Tous les ports ont la même importance symbolique et historique. Mais cela ne veut pas dire qu’ils ont tous les même vocation » (in Ouest-France, 22 novembre 2017)
et de préciser
« Il existe trois systèmes portuaires qui ont clairement un intérêt européen et international et qui, pour cette raison, doivent demeurer dans le giron de l’État ».
Il ajoute (in Paris-Normandie, 21 novembre 2017) :
« Il existe des axes d’intérêt européen. C’est vrai pour l’Axe Seine, avec Marseille, et c’est vrai pour l’Axe Dunkerque - Calais. Pour ces ensembles il faut assumer une stratégie nationale qui a manqué jusqu’à présent ».
Autrement dit, en ce qui concerne les ports de la Basse Seine, c’est un « niet » pour une régionalisation de leur gouvernance. Tout au plus le Premier Ministre souhaite–t- il que la Région et les acteurs économiques soient plus associés à la gestion. Pour les autres ports, « l’État est prêt à confier plus de ports aux Régions ». Il faudrait en outre qu’il y eût une meilleure coordination entre les trois grands ensembles portuaires et les autres ports…
L’avancée – si avancée il y a – est timide. On est loin de la conception hanséatique évoquée par Hervé Morin et rien ne dit que la pratique consistant à nommer des hauts fonctionnaires techniciens en Conseil des ministres à la tête des grands ports (et à les changer tous les trois ou quatre ans !) sera remise en cause. La seule concession finalement est l’introduction de plein droit des Régions dans les conseils de développement ou de surveillance de ces ports. C’est peu. D’ailleurs pouvait-on, en haut lieu, faire autrement puisque les Régions, collectivités territoriales récentes, ont dans leurs prérogatives définies par la Loi NOTRe le « chef de filat » en matière économique ?

« DÉGÂTS COLLATÉRAUX » ?

Nous sommes tentés d’employer cette expression, instruits que nous sommes des effets désastreux des bombardements alliés de la dernière guerre sur les villes et les populations civiles de Normandie…
Le choix de l’État de mettre à part trois grands ensembles portuaires sous prétexte de leur importance stratégique… et de laisser les autres ports à la bonne volonté des Régions (ou autres collectivités locales) est à mettre en parallèle avec la politique d’Aménagement du Territoire qui consiste à privilégier quelques métropoles (Paris, Lyon, Marseille, Toulouse, Lille…) au détriment du reste du territoire. Le géographe Christophe Guilluy a parlé de la fracture territoriale en opposant les métropoles à la France périphérique. Cette dernière est plus large qu’il ne le pensait : elle inclut maintenant la grande majorité des villes qui ne sont pas désignées comme grandes métropoles. Cette politique de traitement inégalitaire dans la sollicitude de l’État à l’égard des villes (nous ne parlons même pas des territoires ruraux) se conforte donc d’un traitement inégalitaire des ports. L’État organise donc, avec plus d’énergie que de moyens financiers d’ailleurs, une fracture territoriale grosse de toutes les dérives que cela va engendrer.

Allons plus loin concernant la Normandie.
Puisque manifestement la pseudo-métropole de Rouen Normandie ne figure pas dans le « Top Five » des grandes métropoles couvées avec gourmandise par l’État, il y a lieu de craindre que la métropole, à savoir Paris, ne veuille s’étendre, notamment dans l’Axe Seine. Dans l’interview du 21 novembre de Paris-Normandie, Édouard Philippe répond à la question suivante :
- « Le Président Macron a évoqué le rattachement de l’Eure, voire de la Seine Maritime, à l’Île–de–France. Partagez-vous cette vision de la géographie ? »
- « Nous sommes nombreux à penser que la Région Île de France pourrait opportunément se développer le long de l’Axe Seine, vers la mer, vers l’accès à la mondialisation. Cette idée est partagée par beaucoup de ceux qui s’intéressent à la compétitivité des territoires face à la mondialisation. Ceci étant, depuis six mois, le Président de la République et moi-même indiquons qu’il n’est pas question d’engager un grand « Meccano » institutionnel. Le Big bang’ territorial, on l’a déjà connu avec la transformation du périmètre des intercommunalités et des régions. Les territoires ont besoin de digérer les transformations passées. Mais si des initiatives conformes à l’intérêt général se font jour au niveau local, nous les regarderons avec bienveillance ».
Voilà qui est clair… et inquiétant.
Le Mouvement Normand, depuis quelques mois, avertissait ses interlocuteurs sur le danger d’un Axe Seine, cheval de Troie d’une expansion de l’Île-de-France au détriment de la Normandie. Allait-on remettre en cause la toute récente unité retrouvée de la Normandie ? Nous avions à la fois tort et raison.
Tort, parce qu’il n’est pas question POUR L’INSTANT de revenir sur le périmètre des nouvelles régions.
Raison, parce que la manœuvre est plus subtile : les territoires, selon la mentalité Macron – Philippe, on s’en fiche. Ce qui compte, ce sont les fonctions qui peuvent être développées dans chacun d’eux, non pas pris globalement, mais selon « l’utilité » de leur partie la plus intéressante. En l’occurrence, il y aurait la « Normandie utile » - dénommé Axe Seine -, le reste étant laissé à son médiocre développement endogène. Cette Île-de- France – qui pourrait elle aussi perdre son nom – serait une grosse agglomération Paris – la Mer, avec une gouvernance d’État (attendons de voir ce que la Conférence du Grand Paris va sortir à ce sujet), à laquelle s’adjoindrait l’ensemble portuaire de la Basse Seine élargi en HAROPA (plus que jamais Harbours Of Paris…), dont la gouvernance serait elle aussi d’État. Sur le papier, la Normandie continuerait d’exister, mais dépourvue de tous les pouvoirs de gestion sur ce qui pourrait en faire la puissance. Une telle « régionalisation » serait un leurre.
Il se trouve toujours des milieux économiques, incapables de voir autre chose que leurs petits intérêts à court terme, pour trouver séduisante la tentation métropolitaine parisienne, mais les Normands, si toutefois on les informe vraiment des dangers de la mise en tutelle parisiano-gouvernementale, ne devraient pas céder aux sirènes du lâche abandon d’une gouvernance régionale efficace et de la nécessaire solidarité entre tous les terroirs normands.

Telle est la voie que le Mouvement Normand entend indiquer aux Normands : RÉSISTER aux tentations mortifères, ASSUMER nos responsabilités de citoyens d’une Région pleinement dotée de tous les pouvoirs d’une vraie collectivité territoriale, libre de toutes les tutelles qui ne sont pas régaliennes. Ce combat n’est pas facile : il vaut d’être mené.

Le destin de la Normandie en balance




Didier PATTE, porte-parole et ancien Président du Mouvement Normand

Pour toute correspondance : 
• Didier Patte. 87, rue de la République. 76940 – La Mailleraye sur Seine (Commune nouvelle d’Arelaune en Seine)
• d.patte948@laposte.net

La Rédaction